BD et FLE – Le piano oriental (Partie 1)
Tout d’abord, lecteurs, lectrices, si vous ne connaissez pas cette bande-dessinée, courez l’acheter ou la conseiller à votre média/bibliothèque pour pouvoir l’emprunter. Le piano oriental est un bijou – visuel, graphique, orthographique, et même sonore (si, si !).
Venez, je vous emmène en voyage, découvrir les liens intimes entre cette œuvre et le FLE et même le FLI.
Le voyage se fera en 6 étapes qui constitueront autant de billets de blog.
1ère étape du voyage : construction de l’identité bilingue, tissage
Cette bande dessinée aborde avec justesse la construction de l’identité bilingue dans un environnement bilingue. Même si ce n’est pas l’objet principal de l’histoire, la biographie langagière dessinée de l’un des personnages occupe une part importante de l’ouvrage.
Je parle ici de “construction” car l’identité bilingue du personnage principal est acquise dans l’enfance, transmise par la famille mais également tout un environnement et un système de valeurs. Cette construction est suggérée dans certains dessins, explicitée dans d’autres.
À titre d’exemple, ce passage dont je recopie le texte (le sens n’est complet qu’avec le dessin) :
“Qu’emporterais-tu si tu devais passer un an sur une île déserte?”
J’avais emporté quelques photos de famille, et un portrait de mon grand-père paternel qui avait été drogman pendant le mandat français au Liban.(…)
Je ne savais pas grand-chose de lui, mais j’avais remarqué un détail étrange : sur toutes les photos il regardait ailleurs. (…)
Le mot “drogman” vient de l’arabe “tourjouman” qui veut dire “traducteur” et qui a donné en français le mot “truchement”.(…)
Parce qu’il était bilingue, le drogman était à cette époque un lien important entre le haut commissariat français et les autorités locales arabophones.(…)
Quand j’étais enfant, je faisais mes devoirs sur le bureau où il avait rédigé ses traductions.
J’essayais de ne pas faire trop de fautes d’orthographe en français, cette langue qu’il chérissait autant que l’arabe, sa langue maternelle.(…)
Mon grand-père paternel qui avait navigué toute sa vie(…) entre l’arabe et le français, (…) avait élevé ses enfants dans les deux langues, (…) avec une certaine exigence…
Naturalisé français pendant le mandat, il avait été fonctionnaire français jusqu’à la fin de sa vie (…) sans avoir jamais vécu en France.(…)
Je me souviens qu’enfant, en regardant les photos prises dans le Djebel Druze où il travaillait, je m’étais dit que s’il regardait ailleurs, (…) c’est peut-être qu’il rêvait de partir. (…)
15 ans plus tard, c’est moi qui suis partie. (…) Avec une valise de 23 kilos pleine à craquer… car à aucun moment je n’ai pensé que Paris n’est pas une île déserte…
Pour moi, ce passage raconte une manière de vivre la transmission dans une famille bilingue, comment les vies des ancêtres et descendants se répondent parfois, que la transmission ait eu lieu de manière directe ou non, à travers les mots ou les gestes. La bande-dessinée regorge d’autres passages traitant de plus ou moins loin de cette thématique…
Cet autre passage raconte de manière particulièrement explicite la construction d’une pensée bilingue chez le personnage :
Je me suis rendu compte que (…) le français (…) et l’arabe (…) sont intimement liés en moi (…) inextricables, (…) le français (…) et l’arabe (…) sont ma langue (…) je tricote depuis l’enfance une langue faite de deux fils fragiles et précieux. (…) Il y a deux jeux de mikados renversés en vrac dans ma tête (…) C’est l’ADN de ma langue maternelle.
Plus tard, lors de son expatriation en France, le personnage apprendra à différencier les usages des deux langues qui ont constitué cet environnement bilingue premier, mais cette histoire sera racontée dans une autre étape du voyage.
Le plus pour le FLE : Des planches qui peuvent tout à fait servir de support à une activité autour de la biographie langagière.
- La biographie langagière et le portfolio européen des langues sur le site du Conseil de l’Europe
- Un article de Muriel Molinié sur La biographie langagière et l’apprentissage plurilingue
- Quelques activités pour les plus jeunes autour de la biographie langagière sur le site Elodil