Décoder son environnement – des codes couleurs partout, tout le temps
Au détour d’une lecture-loisir (Les couleurs de nos souvenirs de Michel Pastoureau) j’ai rencontré un nouveau passage inspirant pour la formation des adultes en français. Je vous conseille la lecture de ce livre si le monde de la couleur vous intéresse. L’auteur s’appuie sur ses souvenirs personnels pour aborder les valeurs et significations des différentes couleurs, ce qui rend cet ouvrage plus accessible encore que les autres.
C’est donc au cours de ma lecture du chapitre intitulé « Des goûts et des couleurs » que j’ai rencontré le passage dont je voudrais parler aujourd’hui :
« Lors de ce voyage, et de tous les suivants, ce qui m’a le plus surpris dans ce pays que je croyais ultramoderne fut le caractère rudimentaire – voire inexistant – de la signalétique, et ce, aussi bien en ville que sur les routes, les autoroutes, dans les hôtels les parkings, les centres commerciaux, les aéroports. Peu de signaux, pas de panneaux de direction, aucun jeu d’orientation par la couleur; impossible de se repérer ou de se diriger sans demander son chemin. Rien à voir avec la vieille Europe occidentale, que l’on peut traverser dans tous les sens sans se perdre, même lorsque l’on est timide ou peu doué pour les langues vivantes. Codes, signaux et couleurs de toutes sortes guident le voyageur du cœur des villes jusqu’au fin fond des campagnes. »
Le voyage dont parle l’auteur se déroule aux États-Unis et ce passage m’intéresse à plusieurs titres. J’ai trouvé pertinente sa remarque sur l’omniprésence des codes visuels. Il parle d’Europe occidentale, je décrirai uniquement ici ce que j’observe en France car c’est mon terrain d’enseignement. Vous êtes les bienvenu.e.s avec vos observations sur vos terrains, quels qu’ils soient.
Les codes visuels, omniprésents ?
L’exemple qui me vient d’emblée est celui de la signalétique du métro parisien, très codifiée visuellement, tant au niveau des couleurs que de la typographie. On peut également penser à la hiérarchie de formes et de couleurs des panneaux (auto)routiers. Il est vrai que dans un pays européen usant, par convention, des mêmes codes, on se repère facilement même lorsque la langue du pays nous est inconnue. En revanche, pour peu qu’une forme ou une couleur diffère de nos habitudes, nos repères sont brouillés et on se perd facilement.
Dans le domaine du FLE, on se repère de la même manière dans les manuels, chaque unité ou chaque rubrique ayant son logo et sa couleur dédiée. Les exemples foisonnent dans tous les domaines de la vie quotidienne, personnelle ou professionnelle. Ce sont des codes qu’il faut obligatoirement aborder en classe de FLE, ils font partie de la compréhension de l’endroit où on se trouve et ces informations ne sont pas explicitées par ailleurs.
Moins de code visuel = plus de dialogue à l’oral ? (et son corolaire : + il y a de codes visuels, – il est nécessaire de se parler ?)
Michel Pastoureau interroge donc, à travers ses observations sur la signalétique, le rapport à l’espace des individus et, à travers lui, leur degré d’autonomie dans cet espace. Lorsque l’autonomie est moindre, le recours au langage parlé est une manière d’obtenir les informations manquantes pour s’orienter et se déplacer.
Ayant effectué un voyage récemment aux États-Unis comme évoqué dans cet article, j’ai été frappée comme dans différents lieux publics (et ce dans 4 États différents) les inconnus s’adressaient fréquemment la parole, non seulement avec moi, identifiée comme « touriste », mais aussi et c’est plus intéressant, entre passant.e.s « ordinaires », non identifié.e.s comme touristes. Je ne saurais affirmer que c’est spécifique aux États-Unis, ce trait m’a sauté aux yeux à plusieurs reprises dans d’autres pays.
En revanche, le lien que fait Pastoureau avec une signalisation moins marquée est intéressant. Et si finalement, la prolifération de panneaux signalétiques amenuisait les occasions d’entrer en contact avec des inconnu.e.s ? Les timides et les taiseux s’en porteraient mieux, c’est d’ailleurs la conclusion de Pastoureau « Appartenant à cette classe de voyageurs discrets et peu bavards, je dis : « Vive la vieille Europe! ». Les autres – les gens tout simplement perdus, les extravertis, les personnes parlant une autre langue, etc. – pourraient en faire les frais, car il est parfois difficile d’aborder des passant.e.s pour obtenir un renseignement.
Quelles conséquences concrètes pour les apprenants en immersion dans des pays francophones ?
Je ne peux m’empêcher de faire le lien avec une apprenante venue du Nigéria qui me faisait part de son désarroi face au refus des gens de répondre à ses questions dans la rue. Anglophone, elle trouvait tellement difficile de discuter avec des français et ne comprenait pas le refus de parler anglais.
Outre un certain complexe vis à vis de la langue anglaise, on peut faire le lien entre cette réticence et l’habitude de se débrouiller seul grâce aux informations des panneaux, habitude qui génère l’attente que les autres en fassent de même, se débrouillent seul.e.s à leur tour.
Je pense également à cette autre apprenante, en situation d’illettrisme, qui me parlait de son « handicap » – ne pas savoir communiquer à l’écrit – vécu comme quelque chose de honteux et qui déployait des stratégies pour ne pas avoir à demander, à être dépendante d’autrui dans ses actions au quotidien.
Des pistes de travail autour des codes visuels
Comment faire pour que chacun.e puisse lire les codes cachés dans les affichages, mais aussi ose demander, soit outillé.e pour demander en cas de besoin pour plus d’autonomie dans le respect de la personne et des codes sociaux locaux ? Voilà un des enjeux de l’enseignement du français en milieu francophone. De l’observation, de l’appropriation à travers des manipulations, des sorties photos, des expositions…
Dans l’ancien centre social où je travaillais, nous avions fait une séquence autour de la sécurité routière en partenariat avec la police municipale et nous avions ensuite créé des panneaux d’information pour les différentes salles du centre social.
Prochainement, je dois organiser des sorties pour découvrir la ville où vivent les apprenants que j’accompagne, des sorties dans des musées également; la préparation du trajet est un moyen concret d’aborder ces questions et que beaucoup d’entre nous pratiquons. Voici quelques exemples d’activités autour de l’objectif « prendre les transports » (Les Zexperts) ou « préparer un voyage » (Numérique et FLE) ou « décrire un trajet » (ASL-Web).
Merci à M. Pastoureau pour m’avoir donné l’occasion de réfléchir à nouveau à ces questions et à mes pratiques.
Et vous, avez-vous d’autres exemples de codes couleurs qu’il faut impérativement maitriser pour une meilleure autonomie ?